Contribution
Cette contribution est issue de l’ouvrage collectif : Sylvie Allouche & Théo Touret-Dengreville (éd.), Sécurité et politique dans les séries de superhéros
Aux origines de Black Panther
C’est sous les plumes de Jack Kirby et Stan Lee que nous voyons pour la première fois apparaître dans le Fantastic Four #52 de juillet 1966 le personnage de Black Panther, alias T’Challa, le roi et protecteur du Wakanda. Roi-guerrier béni de la déesse panthère Bast, ayant bu l’élixir de la plante en forme de cœur, ce Black Panther casse alors de nombreux codes de l’Âge d’Argent des super-héros, c’est-à-dire toute cette vague de comics datant des années 1960 qui visent à redynamiser les histoires super-héroïques pour ancrer les personnages dans le réel et séduire un nouveau lectorat.
Tout d’abord, T’Challa n’apparaît pas comme un simple justicier, mais bel et bien comme un monarque légitime1, trait généralement réservé aux super-vilains plutôt qu’aux super-héros. Ce qui confère un dynamisme très particulier au personnage, qui bénéficie de l’immunité diplomatique. De plus, il s’agit du premier super-héros noir d’origine africaine qui ne soit pas montré d’une manière complètement stéréotypée et raciste. Un vrai risque pour les créateurs, d’autant plus que le Black Panther Party est fondé quelques mois après l’apparition du personnage, en octobre 19662. Un rapprochement nominatif dont Stan Lee dira plusieurs fois qu’il s’agit d’un pur hasard, et non pas d’un élément marketing. À tel point qu’il essaiera plus tard de changer le nom du personnage, sans succès. Black Panther est parti pour s’ancrer férocement dans l’industrie des comics de super-héros.
Alors même qu’était posée la question de savoir si l’industrie était prête à avoir des personnages noirs qui ne soient pas juste des faire-valoir de propagande de guerre comme dans les années 1940, Marvel obtient sa réponse avec le succès immédiat du personnage, dont les comics se vendent très bien. Comme bien souvent avec les comics, la validation du personnage passe par la validation du lectorat. Cela fait maintenant plus de 40 ans que T’Challa fait partie de l’univers Marvel papier. Et c’est ce succès, ainsi qu’un climat politique favorable aux États-Unis, qui ouvrent enfin l’opportunité de réaliser un film, dans le toujours plus titanesque Marvel Cinematic Universe3.
C’est donc en 2018, sous la direction de Ryan Coogler, que le film Black Panther sort au cinéma. Et c’est tout de suite un succès complet. Encore aujourd’hui sixième film du box-office nord-américain, il se place également dans le top 204 des succès du box-office mondial. Y compris, et c’est une nuance très importante, sur le continent africain. Du Sénégal au Gabon jusqu’à l’Afrique du Sud, Black Panther est partout sur le continent. On peut ainsi voir des vidéos d’avant-premières où les spectateurs viennent dans les salles en vêtements traditionnels, joyeux d’être enfin « reconnus au cinéma ». Black Panther est effectivement un film qui se veut africain, autant dans les inspirations que dans l’histoire racontée. Car après tout, on ne peut pas parler de T’Challa sans parler du Wakanda…
Le Wakanda, entre critique de la colonisation et afro-futurisme
On se souvient tous de cette scène frappante du début du film, lorsque le vaisseau furtif de T’Challa survole l’Afrique, et qu’un champ de dissimulation tombe, nous entendons résonner une musique orchestrale épique soulignée par des percurssions, et le Wakanda se révèle à nous. Des tours d’argent futuristes qui rappellent les formes les plus modernes d’architecture urbaine. Une ville en cohabitation avec son environnement, où les rues sont parsemées de végétation et de vie, une foule aux couleurs chatoyantes. On est en Afrique, ou plutôt dans une représentation d’une Afrique moderne, qui n’a connu ni esclavage, ni pollution, ni colonisation. Une version idéale… et fictive. Car c’est bien là tout le problème du Wakanda, ce pays n’existe pas. Et pourtant, on souhaite, nous l’audience, y croire.
Quand en 1994 Mark Dery publie son essai Black to the Future, ccompagné d’autres auteurs et autrices comme Samuel R. Delany ou Octavia Butler, il pose les bases d’un genre qui sera redéfini plus précisément par le théoricien anglo-ghanéen Kodwo Eshun en 2003 : « Un moyen de contestation par la création de futurs optimistes s’inspirant des histoires de la diaspora africaine »5. Et si, plutôt que de tomber dans la victimisation ou le tokenism, les fictions et l’art se concentraient sur une représentation positive de l’histoire et de la culture africaines, tournée vers des lendemains heureux, positifs et constructifs ? Une Afrique entre tradition et modernité, où la spiritualité telle qu’elle s’exprime dans les représentations culturelles est respectée, mais où le développement du pays et des habitants se concentre sur la technologie de demain. En suivant cette définition, Black Panther est alors, dès sa création à la fin des années 60, un cas d’école d’un genre qui n’existe pas encore dans le champ théorique.
Car l’afro-futurisme est aussi très politique : le passage à l’indépendance doit se faire grâce à une alliance des forces du continent, mais aussi à une meilleure utilisation des formidables ressources qu’offre le sol africain. Et c’est alors que l’exemple du vibranium apparaît de manière évidente. Ce métal rarissime, présent seulement au Wakanda, possède des propriétés quasiment magiques et sert de fondement au pays, qui a construit son identité autour de l’utilisation de ce métal et détient le monopole de son exploitation. La comparaison avec le coltan ou l’uranium est évidente. Le Wakanda existe, car il ne s’est jamais fait piller par l’Occident. Il n’est donc pas seulement une utopie scientifique, mais il est bel et bien une déclaration politique.
Il nous revient alors de nous questionner sur le succès de ce film, qui marque un véritable clivage avec la majorité des autres films du MCU, en essayant d’identifier les forces et faiblesses qui ont fait de Black Panther une œuvre qui se distingue au sein d’une machine de production aujourd’hui parfaitement rodée du nom de Marvel-Disney. Pour tenter de cerner le Wakanda, nous verrons dans un premier temps comment cette vision idéalisée de l’Afrique a vu le jour à partir d’une analyse des méthodes de production employées par le film. Puis nous nous concentrerons sur la critique qui y est faite de l’Occident blanc avant de terminer par le modèle cinématographique du MCU, qui emprunte énormément aux codes des séries pour garantir un succès économique et culturel conséquent depuis le premier Iron Man.
Une confluence des cultures africaines
Black Panther a réussi à s’imposer auprès du public et des médias notamment grâce au grand soin que Coogler et ses équipes ont porté au respect des cultures africaines. Le film aurait tout à fait pu tomber dans le larmoyant victimaire ou dans du tokenism, c’est-à-dire des films qui représentent des minorités sans considérer les détails ou respecter les représentations culturelles, mais avec une volonté mercantile de remplir un cahier des charges socio-culturel pour avoir une bonne presse. C’est ici loin d’être le cas. Black Panther est bien un film africain. Il a été réalisé après de nombreux voyages en Afrique sur lesquels nous reviendrons, autour d’un casting et d’une équipe essentiellement africaine ou afro-américaine. Largement diffusé dans le monde, dans plus de 70 pays, ce film se veut universel.
Cette universalité se traduit de deux manières : au travers de l’histoire elle-même, qui s’inscrit pleinement dans les récits super-héroïques classiques, mais aussi au travers du syncrétisme culturel qu’ont essayé de mettre en place Coogler et son équipe pour créer le Wakanda de toute pièces.
Effectivement, Black Panther n’est pas qu’un film qui se place dans un pays utopique, mais résulte d’une volonté partagée de créer un lieu qui soit aussi le plus réaliste possible. L’équipe de production a fait plus de trois voyages en Afrique et réalisé des milliers de clichés pour arriver à reproduire des décors et des scènes qui tout en stimulant l’imaginaire populaire respectent l’inspiration des cultures africaines.
C’est ainsi que le Lesotho a servi de base pour le Wakanda qui, selon les dires de Coogler lui-même, a « toujours été une enclave, protectrice de son indépendance grâce à son terrain »6. Les capes traditionnelles des Wakandais sont inspirées de vêtements traditionnels issus du Lesotho et du Mali. Chacune des tribus qui constituent la population du Wakanda a été dotée d’un sceau inspiré d’un pays africain, comme la Tribu Marchande dont le sceau est basé sur le Nigérian écrit. Ce travail méticuleux n’est pas uniquement visuel, mais également écrit et parlé. Des experts linguistiques, notamment en Xhosa, deuxième langue parlée en Afrique du Sud, ont élaboré le Wakandai comme une langue syncrétique reprenant des codes et sonorités de plusieurs langues africaines. De façon générale, tout a été mis en œuvre pour créer un sentiment de réalisme et donner l’impression que le Wakanda est réel dans un monde qui, en dehors de ses frontières, ressemble énormément au nôtre.
Cet effort se révèle aussi dans l’architecture des lieux, à la croisée des chemins entre modernité et traditionalisme. Des endroits comme la Cité des Morts, lieu de culte et de mémoire du Wakanda, reprennent des architectures anciennes inspirées de l’Empire malien précolonial. Dans le même temps, les endroits les plus modernes comme la Cité d’Or, la capitale, résultent eux d’un véritable travail d’anticipation, conduit avec des architectes professionnels qui ont tenté d’imaginer un environnement urbain ultra-moderne qui aurait su grandir en même temps que son environnement et sans ingérence extérieure.
Ce patchwork culturel aurait pu être vivement critiqué par les audiences ou les experts, mais il a au contraire été en grande majorité encensé par la critique. Car la vérité bien simple que démontre Black Panther, c’est le manque drastique de superproductions culturelles en Afrique. Comme le montrent nombre d’interviews de rue conduits en Afrique, les foules qui sortent des premières séances sont aux anges, ravies de se sentir enfin représentées en tant qu’Africains dans un film hollywoodien. En dépit du fait que le Wakanda n’existe pas, s’exprime une fierté vis-à-vis du soin qu’a apporté Coogler à respecter l’esprit des cultures africaines, mais également de la dimension universaliste du film. Car Black Panther est un film qui n’est pas juste un « film ethnique », il est aussi très respectueux de l’œuvre de base des comics. Le soin apporté à la réalisation en fait donc à la fois une superproduction réussie sur le plan économique, un film qui comble un vide culturel, et une bonne histoire de super-héros. Mais ce soin est encore plus visible dans la critique politique que propose le film.
Une critique de la colonisation
Le vibranium, ce minerai mystique qui confère toute sa puissance au Wakanda, a beau être un minerai imaginaire, il joue un rôle fondamental dans la critique politique formulée par le film dès lors qu’on comprend qu’il doit être mis en parallèle avec le coltan, minerai essentiel à la construction électronique spécialisée ou haut de gamme, comme dans l’aviation ou l’informatique, et dont plus de 80% de la réserve mondiale se trouve en République Démocratique du Congo7. Le minage du coltan, dans notre monde bien réel, est un véritable désastre humanitaire, économique et écologique, alors même que de très jeunes travailleurs se tuent la santé pour le prospecter de manière artisanale, le minerai étant ensuite racheté par de puissantes corporations qui se détachent bien de toute relation directe avec les mines, dans un exemple de capitalisme inégalitaire et destructeur rarement atteint.
Coogler lui-même fait le rapprochement entre les deux ressources, allant jusqu’à interviewer des spécialistes en géologie et minéralogie pour en apprendre plus sur le coltan, et pour imaginer les effets que pourrait véritablement posséder le vibranium.
Or le cœur du Wakanda est justement sa large réserve en vibranium, que les Wakandais ont réussi pendant très longtemps à défendre ou à dissimuler au reste du monde, en jouant sur les stéréotypes occidentaux selon lesquels le Wakanda ne serait qu’un pays pauvre d’Afrique parmi de nombreux autres. Le film se pose ainsi en critique des pilleurs-colonisateurs qui ont tant appauvri l’Afrique au cours des derniers siècles. De l’indépendance de la gestion de ses matières premières vient la puissance du Wakanda. Et c’est d’ailleurs tout le problème du premier film, et en partie du second : que faire de ce pouvoir qu’octroie le vibranium ?
Killmonger, la némésis de T’Challa, souhaite utiliser le vibranium comme moyen d’armer les populations noires du monde face à l’oppression historique des Blancs. Il y a donc un véritable enjeu politique entre les protagonistes du film quant à l’utilisation des ressources du Wakanda. De par son histoire tragique d’immigré du Wakanda aux États-Unis, Killmonger apparaît comme un vétéran de guerre au comportement psychotique qui est familier du racisme systémique états-unien, alors que T’Challa, le prince héritier, n’est guère de son point de vue qu’un riche de plus qui a toujours eu ce qu’il souhaitait. Là où l’un veut détruire un monde qu’il n’aime pas, l’autre prend à la fin du film la décision d’éduquer le monde à la culture wakandienne. Les deux personnages principaux apparaissent ainsi chacun comme des versions inversées des clichés de la colonisation : T’Challa qui veut éduquer le reste du monde, et notamment le continent africain, et Killmonger aux rêves d’oppression et d’extermination. Plutôt que d’interpréter le film comme un film fainéant et partisan, notre lecture voit donc en lui une critique directe de l’histoire occidentale, formulée depuis un contexte africain. Ce qui nous reconduit à une idée clé de l’afro-futurisme : que le salut de l’Afrique ne peut pas venir d’une ingérence étrangère mais bel et bien des Africains eux-mêmes.
On retrouve cette dimension politique du film dans la présence au casting de Martin Freeman en tant qu’Agent Ross. Quasiment l’un des seuls acteurs blancs du film, il aide T’Challa et la famille royale à venir à bout de Killmonger, mais sans jamais prendre le devant de la scène. Comme s’il servait de rappel à l’audience : il peut être là pour aider, mais ce n’est pas son rôle de devenir un énième « white savior »8.
C’est ainsi que ce qui apparaît comme un simple film d’action super-héroïque parmi de nombreux autres nous livre en fait un récit avec un deuxième niveau de lecture bien plus engagé et réfléchi que ce à quoi on peut s’attendre de la part du Marvel Cinematic Universe. Mais, et c’est là à mon sens tout le talent et le brio de Coogler et de son équipe, cette volonté n’empêche en rien le film d’être un bon film de super-héros. Ce qui fait de cette œuvre un film universel, que l’on peut apprécier à différents niveaux de lecture.
Le cinéma sériel, quand trop c’est trop
Si cette analyse se concentre uniquement sur Black Panther, il faut cependant avoir conscience du fait qu’un film Marvel ne constitue pas une œuvre isolée et ne prend pleinement son sens qu’inséré dans l’ensemble des films qui constituent le Marvel Cinematic Universe. Ces films sont à date la franchise la plus importante de films du cinéma en dehors de James Bond. Ils ont redéfini l’industrie de l’entertainment et du cinéma, allant jusqu’à l’étouffer de l’avis de nombreux acteurs et réalisateurs, comme Gilles Lellouche, Vincent Cassel ou encore Robert de Niro9. Mais le fait est que, sur le top 20 de l’histoire du box-office à ce jour, 8 films sont des films Marvel et plus de 14 films sont des productions Disney.
Le cinéma super-héroïque est donc devenu ce qu’était le western du vieil Hollywood, le moyen d’exportation culturel américain de prédilection, ou autrement formulé : du soft power américain. Et pourtant… lorsqu’on regarde de plus près, d’importantes nuances sont à apporter. La première est que l’explosion de la production sérielle à partir des années 2000 a modifié en profondeur le paysage culturel audiovisuel, autant dans la forme que dans le fond. La démocratisation des systèmes de projection avancés comme le home cinéma couplée aux services de vidéo à la demande et de streaming comme Netflix a transformé le foyer en lieu privilégié de consommation audiviosuelle, et ce d’autant plus que divers événements extérieurs comme la pandémie ou l’inflation n’ont fait que rajouter à la nécessité de rester chez soi.
Les séries devenues reines, le savoir-faire, le budget et la demande de « bonnes séries » n’ont fait qu’augmenter. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si tout ces univers à licence comme Star Wars ou Marvel se voient déclinés en séries, avec des shows comme The Mandalorian ou WandaVision, qui visent à combler les vides narratifs tout en gardant la traction nécessaire pour amener les audiences dans les salles de cinéma. Et si ces univers étendus et multimédiatiques peuvent être fantastiques pour les fans, la dure réalité de la surproduction fait que les attentes des spectateurs augmentent. Mais alors que le premier Black Panther est à tous points de vue (industrie du cinéma, approche culturelle globale, univers de super-héros) une révolution, la suite directe, Wakanda Forever, sortie en novembre 2022, est tout ce que le premier film n’est pas.
L’équipe de production, ayant été frappée par de nombreuses crises, notamment le décès de Chadwick Boseman, l’acteur qui jouait T’Challa, avait déjà préparé les fans et critiques à une suite compliquée. Mais c’est notamment le pitch du film qui pose un véritable problème. Alors que Coogler introduit la civilisation de l’Atlantide dans l’univers Marvel au travers du personnage de Namor, historiquement l’un des premiers personnages créés par la Maison des Idées10, la profondeur de lecture politique du premier film se perd instantanément au profit d’une énième histoire de super-héros qui manque de finesse et de profondeur. Un rapprochement maladroit est fait entre l’Atlantide et le Wakanda, mettant en avant les civilisations latino-américaines et les populations africaines comme victimes toutes les deux de la colonisation. Mais, si c’est historiquement vrai, c’est ici présenté sans nuances ou réflexion, dans une ignorance complète des profondes différences qui séparent l’histoire de ces aires civilisationnelles. Le film devient alors juste un film d’action moyen selon les standards Marvel, avec une espèce de compétition victimisante entre l’Atlantide et le Wakanda, sans offrir la profonde richesse de travail de recherche du premier film.
En cherchant ainsi à surfer sur la vague de réussite qu’a connue Marvel Studios dans ses premières années, on voit les productions super-héroïques être de plus en plus répétitives et perdre l’originalité ou la profondeur de leurs premiers succès. L’enjeu évident est alors de savoir si la sérialité de ces univers se justifie dans le temps ou si, comme nombre de séries, elle finira par s’essouffler ? Comme le succès économique que continuent d’avoir les films de super-héros ne pousse pas l’industrie à se renouveler, on peut craindre qu’une forme de normalisation fainéante s’installe et que les films comme Black Panther se fassent de plus en plus rares au profit de simples films d’« action-aventure ».
Wakanda forever ?
L’assassinat de Georges Floyd en 2020 a relancé la question du racisme systémique qui persiste aux États-Unis tandis que le mouvement Black Lives Matter s’emparait des rues du pays. Alors même que les manifestants protestaient contre les comportements racistes, on pouvait apercevoir sur certains clichés des enfants déguisés en super-héros, dont Black Panther, avec soit des panneaux « Black Lives Matter », soit des panneaux « Wakanda Forever ». Cette phrase, slogan porté par les Wakandais de l’univers Marvel, est rapidement devenue sur les réseaux un cri de ralliement, non seulement pour les fans du film, mais aussi pour les militants du mouvement Black Lives Matter. Dans un classique croisement entre réalité et fiction propre aux super-héros, le message du formidable Chadwick Boseman résonne en profondeur : il faut faire plus de place dans la culture de masse à d’autres civilisations que l’Occident. Mais, et c’est ici toute la subtilité de Black Panther, on peut le faire sans s’aliéner ni ceux dont on parle, ni ceux dont on ne parle pas.
Le film ressort grandement du MCU de par son engagement à parler de vrais sujets, tout en les présentant d’une manière qui n’empêche en rien de passer un bon moment en famille. Il réussit ainsi à participer à la discussion politique citoyenne au travers de la culture de masse, ce qui, dans un champ culturel qui déborde de films de super-héros, n’est pas un mince exploit.
Le 21 octobre 1975, dans le Jungle Action #19, T’Challa affronte le Klux Klux Klan, faisant de ce numéro l’un des rares comics Marvel où les auteurs, au mépris du Comic Code Authority, ont décidé de traiter de sujets directement liés au monde réel. En novembre 2018, je sors comblé d’une salle de cinéma de ma petite ville d’Amiens, après mon visionnage de Black Panther. Et j’aperçois une famille d’origine africaine, tous en tenue traditionnelle, sortir en discutant du film, alors qu’un des enfants croise les bras sur son torse en criant : « Wakanda pour toujours ! ». Chadwick Boseman n’aura peut-être pas l’occasion de voir les répercussions profondes de l’œuvre majeure de sa carrière sur le long terme, mais il aura certainement contribué à inspirer toute une génération à être fière de ce qu’elle est.
1. Contrairement à ce qui est mis en scène dans le film, Black Panther est directement roi du Wakanda lors de sa première apparition en comics.
2. Fondé par Bobby Seale & Huey Newton en octobre 1966 à Oakland.
3. Où MCU, désigne l’ensemble des films et séries de super-héros issus de Marvel puis Marvel-Disney depuis Iron Man de Jon Favreau en 2008.
4. Classement box-office Mojo 2023.
5. Traduit de l’anglais depuis « Further considerations on Afrofuturism », The New Centennial Review, vol. 3, n. 2, Summer 2003.
6. « How Black Panther director fell in love with Lesotho and isiXhosa », The Times, janvier 2019. Traduit de l’anglais.
7. University of Waterloo, Earth Museum.
8. Argot anglais, le « sauveur blanc », qui désigne en pop culture un personnage blanc qui arrive à régler les problèmes d’un personnage noir, incapable de se débrouiller tout seul.
9. Interview pour Brut, en août 2021 au Festival de Cannes, où de nombreux cinéastes et acteurs parlent de leurs inquiétudes quant à une domination du cinéma par l’industrie entertainment des super-héros.
10. Traduit de l’anglais « House of Ideas », alias informel de Marvel Comics.
Citation
Théo Touret-Dengreville, « Le Wakanda, une version idéalisée de l’Afrique ? », dans Sylvie Allouche & Théo Touret-Dengreville (éd.), Sécurité et politique dans les séries de superhéros Archive ouverte J. Vrin, visité le 5 décembre 2024, https://archive-ouverte.vrin.fr/item/touret-dengreville_le_wakanda_une_version_idealisee_de_l_afrique_2023
Auteur
Théo Touret-Dengreville est doctorant en histoire à l'Université de Picardie Jules Verne. Il a été en 2021-2022 assistant de recherche au sein de au sein de l’ERC Advanced Grant DEMOSERIES, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
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