Ouvrage collectif
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Wonder Woman est le prototype de l’héroïne de la culture populaire, celle qui servira de modèle pour toutes les autres. Sans Wonder Woman, il n’y aurait peut-être pas eu Buffy, Sydney Bristow dans Alias, ou les femmes-guerrières de Game of Thrones et Vikings. Wonder Woman incarne en effet la toute première tentative pour promouvoir le féminisme par la culture populaire, et aucune nouvelle super-héroïne ne pourra sans doute avoir le même impact et la même force symbolique qu’elle. C’est ce que l’article s’emploie à montrer en conduisant une étude croisée de la figure de Wonder Woman à la fois dans l’histoire de la culture populaire et du féminisme, de la création du personnage par William Moulton Marston en 1941 aux films de 2017 et 2020 en passant par la série des années 1970.
Le propre des super-héros est de vivre des aventures extraordinaires et des événements hors du commun : doués de super-pouvoirs, ils affrontent des super-vilains dans des combats épiques et des affrontements titanesques où la terre tremble, où l’on s’envoie des voitures à la figure comme des balles de tennis et où se succèdent explosions, immeubles réduits en poussière et épisodes de tension dramatique entre la vie et la mort. Les super-héros, par définition coupés du monde social ordinaire, ont des enjeux à leur mesure, enjeux qui ont plus à voir avec la fin du monde qu’avec la fin du mois. On imagine mal, en effet, Batman éplucher ses fiches de paye, Thor faire la queue à Pôle Emploi, Iron Man remplir sa déclaration d’impôts ou Captain America aller renégocier son taux de crédit avec son banquier ! Les super-héros semblent être à la fois au-dessus et au-delà, dans un « univers étendu » où les restrictions des contigences matérielles (au double sens du terme : physiques et financières) n’opèrent pas, pas pour eux en tout cas. Dans cette perspective, la trilogie Spider-Man (2002, 2004 et 2007) du réalisateur Sam Raimi (né en 1959), considérée unanimement comme la meilleure adaptation au cinéma du comics créé par Stan Lee et Steve Ditko en 1962, détone beaucoup par rapport à ce cadre. Certes, tous les ingrédients d’une histoire de super-héros sont bien là (suspense, romance, scènes d’action spectaculaires, enjeux dramatiques forts) mais la dimension sociologique et économique (et donc, par là même politique) n’est jamais passée sous silence, au point qu’on pourrait même y voir une trilogie sur la lutte des classes.
In “People that Wear Masks are Dangerous. Why did HBO Watchmen find a home for superheroes in Tulsa?”, Clair Richards explores the themes of masks, identity, and costume in HBO Watchmen. The article discusses how the TV series challenges traditional representations of superheroes, focusing on the Black experience and gaze, with a Black female protagonist; it explores the significance of the shift of the narrative from New York to Tulsa, and the first depiction of the 1921 Tulsa race massacre; it engages with the various debates around masking, identity, costume, and race. HBO Watchmen indeed challenges traditional notions of the female superhero and explores the limitations of conventions of the wider superhero genre. It is an innovative exploration of counterfactual outcomes, which offers an alternative space for the representation of strong, Black, female identity in a superherocontext, while challenging societal polarisation.
Adopting a Marxian perspective, the chapter argues that superpowers serve as a metaphor for the incredible power of the industrial mode of production in advanced nations. Superhero(ine)s thus represent the working class who have always been the main consumers of the genre. Moreover, beginning in the 1940s, Marvel’s superhero(ine)s have, like US industry, acquired much of their power as a result of research conducted by the military-industrial complex and have consistently been embedded in narratives of superpower projection overseas. This is still apparent in Agents of S.H.I.E.L.D in which secret para-state groups of superhero(ine)s, as guardians of the cosmic order, have a duty to intervene in any jurisdiction with zero accountability. On the domestic front, the MCU series have an equally reactionary character as they insist on the need for self-regulation in accordance with the American ethos. Interfering with the order of things, instead of merely reacting to evildoers, leads to hubris and to superhero(ine)s turning into supervillains, meaning that characters are constantly examining their motives. Using Jameson’s approach to the political unconscious, the driving force behind supervillainy is identified as ‘ressentiment’ – supervillains blame a corrupt and incompetent elite for the state of the world whereas their true motivation is deep-seated envy and a burning desire for power over others. Hence, efforts to challenge the status quo are always misguided, a message that seems to have gained in urgency in the 2010s amid growing strains on the American Dream and accompanying manifestations of populism.
Depuis son arrivée en 2018 dans les salles, Black Panther a su fédérer toute une partie de l’audience et des critiques avec une proposition cinématographique qui renouvelle le genre super-héroïque par son traitement habile des questions de représentation culturelle sans pour autant s’aliéner le public mainstream. Véritable travail d’exploration culturelle et linguistique, le film, tout en offrant un récit super-héroïque traditionnel, a réussi à se faire une place singulière au milieu des films du MCU les plus récompensés au travers de la portée de son message, alors que le mouvement Black Lives Matters affichait souvent des « Wakanda Forever ! » sur ses panneaux lors des manifestations. Mais le centre du film, et ce qui devient un élément central du MCU, est sans nul doute le Wakanda, pays utopique imaginaire d’Afrique, aux inspirations afro-futuristes et décoloniales. En s’intéressant à la représentation du Wakanda et à la place de Black Panther dans la série des films du MCU, cet article interroge les liens entre monde réel et monde imaginaire, tout en montrant que Black Panther est un cas d’école : un film engagé, qui relève d’une forme d’activisme politique ethnique, et a pourtant su séduire une audience mondiale extrêmement diverse.
L’originalité fondatrice de la minisérie WandaVision (Disney+, 2021) est d’adopter les codes de la sitcom traditionnelle en partant de la période classique des années 1950 pour aboutir au mockumentaire, sous-genre emblématique du nouveau millénaire. Cela produit un décalage comique avec les super-pouvoirs des protagonistes de comics Marvel. Il se révèle cependant progressivement que ce quotidien de sitcom n’est en fait qu’une fiction à l’intérieur de la fiction, protégée par un champ de force électromagnétique : le « Hex ». C’est un safe space dans lequel se tiennent reclus Wanda et (à son insu) Vision. Dès lors, il est permis de s’interroger sur le rôle dévolu à la sitcom dans un tel dispositif : s’agit-il de rendre hommage au genre, ou de le réduire à une échappatoire régressive et infantilisante contre la tyrannie du monde moderne ? En d’autres termes, l’objectif déclaré est-il de célébrer ou de supplanter ce genre séminal de la télévision américaine ? Le présent article se propose de répondre à ces questions en explorant la piste d’une annihilation de la fantaisie domestique des sitcoms par l’imaginaire Marvel, fondé sur la machinerie militariste et les combats manichéens. Se pose en effet la question d’un détournement opératoire et idéologique du genre sitcom pour lui imposer un discours belliciste inhérent au « Marvel Cinematic Universe ».
Dans cet article, je m’appuierai sur l’essai de Stanley Cavell « The Fact of Television » (1982) pour comprendre les caractéristiques distinctives, et par là même les mérites esthétiques considérables, de la récente série télévisée WandaVision – un prolongement du « Marvel Cinematic Universe » diffusé sur Disney+. Il s’agira de rendre compte de la conception générale du médium artistique proposé par Cavell, puis de la caractérisation en particulier du médium télévisuel, avant d’examiner enfin WandaVision à travers le prisme de cette caractérisation. Au cours de ce développement, je contesterai également deux raisons en apparence convaincantes de considérer ce dernier comme superflu, non seulement en ce qui concerne cette série télévisée en particulier, mais aussi en ce qui concerne la télévision en général. Premièrement, le fait que Cavell s’appuie sur la notion fortement contestée de médium esthétique ; et deuxièmement, le fait que cette notion ait été conceptualisée bien avant les changements technologiques radicaux de la télévision, et avant la création de ce qui pourrait sembler être des formes radicalement nouvelles d’art télévisuel (des récits de longue durée dirigés par un seul showrunner créateur de la série comme Les Sopranos ou The Wire), deux éléments qui semblent menacer la pertinence de l’essai dans les débats actuels.
Dans l’univers des comics et séries, le super-vilain, antagoniste du super-héros, est central. Représentant l’archétype du mal, il valorise les qualités héroïques et soulève des questions morales liées aux problématiques sociales. Ces personnages évoluent avec la société, témoignant de ses changements culturels et historiques, en particulier dans le contexte américain. Cette évolution, des premiers comics à aujourd’hui, montre une complexité et profondeur accrues. Les super-vilains, autrefois de simples figures maléfiques, incarnent désormais des nuances psychologiques et morales, reflétant des enjeux contemporains tels que la corruption, le terrorisme et les crises identitaires. De simples obstacles pour les héros, ils sont devenus des personnages qui servent de miroir à la société et expriment des craintes et préoccupations collectives. Ils sont désormais des figures complexes, stimulant la réflexion sur la morale, l’éthique et les dilemmes modernes. Leur étude révèle ainsi l’évolution de la culture populaire et des perceptions sociétales.
Les films et séries de super-héros présentent de nombreux systèmes, réels ou fictifs, de surveillance. Dans des sociétés postmodernes où ces dispositifs se multiplient et sont présentés comme les garants nécessaires de la sécurité, les œuvres de fictions illustrent également leurs dérives totalitaires possibles et, par-là, nous interrogent sur notre propre rapport à la surveillance. Qu’il s’agisse de moyens techniques, communicationnels ou informationnels, ces dispositifs semblent conçus pour la surveillance des citoyens au service de super-héros ou d’institutions. Ils s’inspirent du modèle du panoptique de Bentham, des formes de biopouvoir théorisées par Foucault et promeuvent l’illusion d’une « société transparente ». Nonobstant, ils questionnent également la tendance à l’inter-veillance des individus tout comme la demande croissante de sous-veillance des citoyens, détournant ou braconnant à leur tour les dispositifs. Dans cet article, l’analyse sémiopolitique d’un corpus de films et séries, permet de distinguer les différentes formes de dispositifs de surveillance et sécuritaires au service du pouvoir – et des supers – tout comme de questionner en quoi ces représentations sont aussi des formes de dénonciation qui explorent les failles et les fractures des dispositifs qui nous entourent et nous contraignent. Ainsi, les films et séries de super-héros questionnent l’évolution des rapports entre dispositifs de surveillance, institutions et technologies de l’information et de la communication dans les sociétés postmodernes. Plus encore, ces œuvres de fiction nous enjoignent de faire preuve de plus de réflexivité face aux injonctions contradictoires d’un désir croissant de sécurité qui se construit bien souvent aux dépens des libertés individuelles.
Les super-héros entretiennent avec le droit une relation faite de paradoxes. Par leur nature même, ils sont des figures qui enfreignent la loi, que ce soit en dissimulant leur identité ou en utilisant leurs pouvoirs, assimilables à des armes interdites sans autorisation spéciale. En dépit de ces violations, le droit et les conséquences légales des actes des super-héros sont rarement abordés dans les récits. Le monde politique, qui devrait réagir à l’existence de tels individus, ne le fait qu’occasionnellement, comme on le voit dans certains arcs narratifs de Marvel où les super-héros sont persécutés, mais ces situations sont rarement explorées d’un point de vue juridique. Les super-héros qui sont aussi des avocats, comme Daredevil et She-Hulk, représentent un paradoxe encore plus évident : ils sont supposés défendre la loi dans leur profession mais adoptent des comportements qui sont à l’opposé de ce principe quand ils endossent leur costume. Les récits de super-héros mettent donc en avant une vision transgressive de la société, où ces personnages illustrent les failles d’un système qui ne parvient pas à les intégrer ou à les réguler. Si les super-héros étaient pleinement intégrés dans un cadre juridique, ils perdraient leur statut particulier et la société ne serait plus présentée comme défaillante. Ainsi, la figure du super-héros demeure une expression de la contestation de l’ordre établi et de la fascination pour ceux qui s’affranchissent des règles.
Depuis la création du personnage de Superman en 1938, les figures de superhéros, et plus largement les personnages dotés de superpouvoirs, se sont multipliés, dans les comics d’abord, puis au cinéma et dans les séries, les films du Marvel Cinematic Universe occupant régulièrement les premières places du box-office mondial. L’image que l’on peut avoir spontanément du superhéros est celui d’un personnage au costume flashy qui lutte grâce à d’innombrables exploits acrobatiques contre des supervilains et leurs plans compliqués de domination ou de destruction globales dans un univers moral manichéen. Mais, comme en témoignent deux phrases célèbres tirées des histoires de superhéros, « With great power comes great responsibility » et « Who watches the Watchmen ? », le fait qu’un ou plusieurs individus possèdent des superpouvoirs soulève nécessairement des questions politiques, comme je m’emploie à le mettre en évidence à partir de divers exemples. Mais, plus fondamentalement, il me semble que les histoires de superhéros permettent d’interroger un présupposé omniprésent des théories politiques traditionnelles concernant les capacités que doivent présenter les individus pour pouvoir entrer dans une relation politique. C’est ce que je me propose de montrer à partir d’une comparaison avec la question d’une éventuelle relation politique à construire avec les animaux, telle que défendue par Sue Donaldson et Will Kymlicka dans leur livre de 2011 intitulé Zoopolis.
Citation
Sylvie Allouche & Théo Touret-Dengreville (éd.), Sécurité et politique dans les séries de superhéros Archive ouverte J. Vrin, visité le 21 décembre 2024, https://archive-ouverte.vrin.fr/item/allouche_touret-dengreville_securite_et_politique_dans_les_series_de_superheros_2023
Éditrice et éditeur
Sylvie Allouche est enseignante-chercheuse en philosophie à l’UCLy (Lyon Catholic University), UR Confluence : Sciences et Humanités (EA 1598 1598), et membre de l’ERC Advanced Grant DEMOSERIES, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Théo Touret-Dengreville est doctorant en histoire à l'Université de Picardie Jules Verne. Il a été en 2021-2022 assistant de recherche au sein de au sein de l’ERC Advanced Grant DEMOSERIES, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
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