Contribution
Cette contribution est issue de l’ouvrage collectif : Sylvie Allouche & Théo Touret-Dengreville (éd.), Sécurité et politique dans les séries de superhéros
Le super-vilain, opposé au super-héros occupe une place centrale dans les films et séries qui les mettent en scène. Cette figure archétypale du méchant permet au héros de se sublimer dans ses actions et d’apporter une réponse morale à certaines problématiques sociales. Comme le super-héros, le super-vilain évolue avec le temps et la société. Nous verrons ici comment cet imaginaire du méchant a évolué depuis ses origines historiques dans les comic books aux séries contemporaines.
Qui sont les super-vilains ?
Dans l’univers des super-héros, les antagonistes aux héros sont les super-vilains. Le mot « super-vilains » vient de la traduction de l’anglo-américain supervillain. Comme leurs homologues, les super-vilains peuvent se distinguer par des costumes et avoir une double identité. Leurs caractéristiques physiques sont souvent exagérées et permettent de les reconnaître rapidement. L’article « Le rire du méchant » de Véronique Nahoum-Grappe décrit le méchant en ces termes :
C’est un prédateur dénué de tout frein éthique, et dont les ignobles méfaits finissent par entraîner scénarios et lecteurs derrière le héros sur le chemin de la vengeance et de la justice. Le méchant a souvent un visage sinistre, lorsqu’il est représenté couvant ses forfaits dans l’ombre1.
En effet, le vilain se démarque en général du héros par ses actions criminelles, son manque de morale et son apparence générale. De façon analogue à la théâtralisation de la Commedia dell’arte, les super-vilains sont, comme les super-héros, identifiables et représentatifs de leur rôle. Lorsqu’ils ne sont pas identifiables par leur costume ou leur environnement, c’est leur personnalité et leur attitude qui renvoient à leur rôle de méchant. Les remarques de Roland Barthes sur le catch peuvent être à cet égard intéressantes :
On a déjà noté qu’en Amérique le catch figure une sorte de combat mythologique entre le Bien et le Mal (de nature parapolitique, le mauvais catcheur étant toujours censé être un Rouge). Le catch français recouvre une tout autre héroïsation, d’ordre éthique et non plus politique. Ce que le public cherche ici, c’est la construction progressive d’une image éminemment morale : celle du salaud parfait. On vient au catch pour assister aux aventures renouvelées d’un grand premier rôle, personnage unique, permanent et multiforme comme Guignol ou Scapin, inventif en figures inattendues et pourtant toujours fidèle à son emploi2.
Or on retrouve cette thématique dans l’univers des super-héros. Les super-vilains comme les super-héros occupent un rôle défini que le spectateur prendra plaisir à revoir, sachant qu’il existe plusieurs formes archétypales de méchants dans le monde des super-héros. Certains super-vilains n’agissent que par pure méchanceté, sans but précis, alors que d’autres visent l’appât du gain. Dans une autre catégorie, on peut citer les super-vilains intergalactiques visant la conquête de la Terre ou de l’univers. Mais on trouve aussi des super-vilains dotés de personnalités et de motivations plus complexes. Véronique Nahoum-Grappe propose la classification suivante :
Il y a le méchant fou, au délire mégalomane, le méchant “bête sauvage”, barbare, bestial, avec les babines encore ensanglantées, les sourcils relevés vers les tympans, le sourire d’une gargouille. Ou encore le méchant robotisé, fait d’autre chose que de chair, d’une froideur sidérale, aussi peu sensible que le verrou mécanisé qui lui sert de cœur, avec un circuit électrique en lieu et place d’un sang qui ne coule pas dans ses veines, car en général il a eu des problèmes de filiation3.
Une autre classification, plus sommaire, est proposée par le personnage Sam Wilson à son équipier Bucky Barnes dans la série The Falcon and the Winter Soldier : « It might be a part of the Big Three. […] Androids, aliens, and wizards. […] Every time we fight, it’s one of the three »4. Si cette scène est destinée à introduire une note d’humour, elle n’en est pas moins pertinente. En effet, la franchise cinématographique du « Marvel Cinematic Universe » (MCU), compte de nombreux vilains correspondant à cette classification. On peut citer les personnages de Loki qui est un magicien et un extraterrestre, Ultron qui est un androïde, Thanos qui est un extraterrestre ou encore Agatha Harkness, elle aussi magicienne.
Sans les super-vilains, les aventures de super-héros n’existeraient peut-être pas. Le super-vilain doit, pour que le super-héros puisse lui faire face, avoir une puissance équivalente ou supérieure : il se démarque par sa puissance, mais aussi par la peur qu’il génère.
L’attrait de la peur dans le récit
Si le super-vilain fascine autant, c’est parce qu’il inspire la peur. Cette émotion occupe une place particulière dans nos manières de consommer, en ce qu’en dépit de son caractère négatif, elle est recherchée par les spectateurs, comme le sont d’autres passions tristes. Le chapitre « Peut-on aimer la peur ? » de Nathalie Prince dans le collectif De quoi avons-nous peur ? dépeint bien le caractère paradoxal de ce goût :
Voici venu le temps de l’Angstlust, du désir de la peur. On se cache les yeux avec les mains, et on écarte les doigts pour voir… Il s’agit d’un sentiment ambigu de peur et de plaisir, qui consiste à aimer ce qui fait peur et à prendre plaisir à avoir peur. Relevons le paradoxe : alors que naturellement la peur travaille sur la distance et la fuite – je vois cet objet, il me fait peur, je le fuis –, alors que naturellement la peur et le désir s’opposent – le désir fonctionne par attraction, la peur par répulsion –, ici les choses s’inversent5.
La peur consommée dans le cadre du divertissement suscite différentes réactions comme la montée d’adrénaline ou le plaisir d’assister à des scènes d’actions et d’horreur tout en étant à une distance de sécurité. Ce sentiment permet au consommateur d’échapper à la vie quotidienne. Étant attiré par la peur, le spectateur de l’univers super-héroïque profitera de la notion de danger et de peur générée par les super-vilains. Ainsi, certains consommateurs auront pour personnage préféré un vilain du fait de sa personnalité ou de ses stratégies. Or, au cinéma et dans les séries, les moyens techniques et les effets spéciaux permettent d’immerger le spectateur dans des univers terrifiants où l’environnement et les monstres semblent réels. Dans la série Gotham, ce phénomène se traduit dans le pouvoir de Jonathan Crane d’émettre un gaz qui provoque la peur et l’angoisse chez ses victimes.
L’engouement autour de l’imaginaire des super-vilains peut également être reliée à la conscience croissante des risques auxquels est exposée notre société, comme l’évoque Ulrich Beck dans La société du risque6. Les différentes motivations des super-vilains permettent alors de refléter des problématiques sociales et de traduire des angoisses sociétales, le héros sauveur prenant sens par sa capacité à répondre aux angoisses de la société et à y intégrer l’espoir d’un contrôle de l’insécurité ambiante.
Du point de vue de l’industrie cinématographique et télévisuelle, la peur apparaît donc comme une émotion susceptible de générer du profit et sert donc de moteur à la mise en avant des super-vilains dans les films et séries. Mais pour mieux comprendre l’évolution de ces personnages, nous devons revenir à leur origine.
Les vilains historiques
C’est en 1938 sous la plume de Joe Shuster et Jerry Siegel que naît Superman, le premier super-héros. Lors de sa première apparition, celui-ci défend une femme qui se fait battre, en sauve une autre injustement condamnée à mort et déjoue un complot. Le super-héros, dès sa création, combat l’injustice. C’est le début du Golden Age des comics.
Un an plus tard, en 1939, la Seconde Guerre mondiale éclate. Rapidement, les super-héros intègrent la guerre dans leurs récits et font face à l’ennemi nazi. Dès 1940, les lecteurs découvrent le héros à la bannière étoilée, Captain America. Véritable incarnation de l’Amérique, le super-héros a pour ennemi Crâne Rouge, un super-vilain nazi. Sur la couverture du comics Superman Vol 1 #17 de juillet 1942, on voit Superman tenant deux personnages, l’un représentant Hitler et l’autre un Japonais, deux des pays de l’Axe y sont donc représentés de façon à refléter la situation politique d’alors. Le message est clair, il s’agit de combattre l’ennemi commun, et pour y faire face de nombreux super-héros sont déployés.
Les super-vilains des comics évoluent ensuite conjointement avec l’histoire des États-Unis, de même que les super-héros. La Guerre froide, la Guerre du Viêt Nam et le Maccarthysme ouvrent une nouvelle ère pour les super-vilains, en faisant cette fois des communistes et des soviétiques les nouveaux ennemis. Ce renouveau marque l’ère du Silver Age des comics. De façon générale, l’évolution des super-vilains au cours de l’histoire est très significative. On peut citer comme exemple l’origin story d’Iron Man, qui se fait kidnapper dans les comics par une guérilla communiste en 1963, puis par un groupe de terroristes afghans dans le premier film retraçant son histoire en 2008. Ce changement scénaristique montre qu’entre-temps l’ennemi de l’Amérique a changé, ce n’est plus le bloc soviétique, mais le terrorisme originaire du Moyen Orient. L’ennemi a donc une nouvelle fois évolué en fonction de la situation géopolitique américaine. Sans oublier les divers extraterrestres et monstres qui prennent parfois la place des criminels, et qu’on peut interpréter comme l’expression d’une fascination connexe à la conquête de l’espace qui se déploie alors. On entre en tous cas dans le troisième âge des comic books, surnommé Bronze Age, qui fait place à des personnages plus sombres et dont la psychologie est plus travaillée que dans les âges précédents.
Les vilains contemporains
Aujourd’hui, la multiplication des séries et sagas cinématographiques permettent d’explorer les personnages plus en profondeur. La dynamique sérielle est connexe au format comic book et permet de travailler sur la complexité des personnages. Les lecteurs et spectateurs peuvent y suivre leurs aventures durant plusieurs mois, voire plusieurs années et ainsi constater leur évolution. Dans leur article « Repenser le récit avec les séries télévisées » Raphaël Baroni et François Jost font remarquer à ce propos que :
Ces récits offrent la possibilité d’approfondir les personnages dans des proportions inégalées, de les voir évoluer sous nos yeux, en même temps que nous observons le vieillissement non simulé des acteurs qui les incarnent. De nouvelles façons d’articuler les intrigues apparaissent, jouant sur les emboîtements entre épisodes, saisons et série complète. De nouveaux usages des flash-backs et des flashforwards se banalisent, alors que ces distorsions temporelles étaient autrefois plus ou moins incompatibles avec le caractère improvisé, linéaire ou répétitif du feuilleton7.
Ces ressources de la mise en scène rendent alors certains personnages emblématiques, iconiques. Ils ne peuvent plus mourir et renaissent perpétuellement sous la plume de différents scénaristes à travers le temps, comme ce fut déjà le cas dans les comic books. L’évolution de certains personnages est à ce titre remarquable, comme le Joker par exemple, qui est un criminel dans le Golden Age, un farceur dans le Silver Age, et un psychopathe dans le Bronze Age ; on retrouve des évolutions analogues dans les incarnations successives du personnage sur le petit et le grand écran.
À l’instar des super-héros, les super-vilains correspondent à des figures archétypales qui mettent en scène différentes strates de la société. On retrouve ainsi chez les super-vilains des profils liés à des organisations mafieuses ou à des génies du crime, comme de nombreux personnages de la série Gotham ou Lionel Luthor dans la série Smallville. Dans Gotham, on retrouve ainsi l’asile d’Arkham déjà présent dans les comics, qui regroupe des criminels victimes de maladies mentales. Bien qu’à l’origine, le but de cette institution est d’endiguer les problèmes de criminalité, c’est l’inverse qui se produit. La folie présente sur place se répand parmi les patients et contamine également le personnel. L’exemple le plus marquant est Harley Quinn qui, avant d’agir en criminel, était interne en psychiatrie à Arkham. Cette transmission du comportement criminel au contact d’autres individus fait écho à la théorie de l’association différentielle proposée par Edwin Shutherland dans son livre Principes de criminologie8.
Mais d’autres thématiques sociétales contemporaines sont abordées au petit écran, telles la guerre des gangs dans Luke Cage ou la corruption dans Daredevil, incarnée dans le personnage Wilson Fisk. Intelligent et charismatique, ce personnage parvient à commettre ses crimes sans que ses actions ne paraissent au premier abord illégales – ce qui peut rappeler des figures comme Al Capone ou Pablo Escobar.
D’autres personnages à la personnalité plus complexe permettent en outre de nuancer la figure du super-vilain, comme lorsque celui-ci est mû par le souci d’attirer l’attention des autres et d’être l’objet d’une forme de reconnaissance. C’est par exemple cas de Kevin Thompson alias Kilgrave dans la série Jessica Jones ou de Brian dans la série Misfits.
Kilgrave pour commencer a pour but de conquérir Jessica Jones. Son obsession pour elle le conduit à faire d’elle sa prisonnière. Son superpouvoir étant le contrôle de l’esprit, il s’en sert pour obliger les individus à faire ce qu’il leur demande. Ce super-vilain ne semble pas dangereux au premier abord, ses motivations ne représentant pas une menace mondiale susceptible de faire se déplacer une équipe de super-héros. Cependant, sa personnalité et son pouvoir le rendent terrifiant, comme lorsque, pour tuer ses victimes, il leur ordonne d’attendre plusieurs jours au même endroit sans bouger. Cette capacité à commettre des meurtres en utilisant uniquement sa voix peut rappeler le profil de Charles Manson qui demandait à ses adeptes de tuer sans le faire lui-même.
Dans la série Misfits quant à elle, Brian, aussi surnommé « Monsieur Grand Fromage » contrôle le lait. Il est le premier personnage à révéler publiquement ses capacités surhumaines. Cette révélation lui donne rapidement accès à une forme de notoriété, mais celle-ci perd en importance quand d’autres individus révèlent être aussi dotés de pouvoirs. Afin de conserver l’attention que les gens lui portent, Brian prend alors la décision de tuer pour marquer les esprits, contrebalançant la dimension grotesque de son pouvoir, qui le démarquait initialement de l’imaginaire classique du super-vilain.
Aux côtés de ces super-vilains, on retrouve également Sylar de la série Heroes. Son pouvoir consiste en une capacité à comprendre tous les mécanismes, y compris ceux du cerveau humain. Mû par le désir de correspondre à l’image idéalisée que sa mère avait de lui, il souhaite coûte que coûte être reconnu comme étant spécial, ce qui se traduit par un besoin obsessionnel d’obtenir plus de pouvoirs. Il y parvient en ouvrant le crâne d’autres personnes dotées de pouvoirs, ce qui lui permet de comprendre leur fonctionnement et de les reproduire. Sylar devient alors un tueur en série visant plus particulièrement les individus dotés de pouvoirs. Plus la série avance et plus il accumule de superpouvoirs, ce qui le rend surpuissant et presque invulnérable.
Mais au-delà de tel ou tel personnage singulier, les méchants peuvent aussi s’incarner dans des institutions. Ainsi, dans la série The Falcon and the Winter Soldier, les deux héros doivent non seulement affronter les Flag-Smashers, mais également le gouvernement, pour faire accepter un Captain America afro-américain. En outre, une partie de la population doit réintégrer la société après sa disparition provoquée par Thanos et sa réapparition cinq ans plus tard. Le conflit avec le gouvernement qui en résulte est au centre de la série et renvoie, dans le monde réel, à la question du traitement des populations immigrés. Le réalisateur Kari Skogland exprime clairement cette volonté de proposer des problématiques actuelles afin que les spectateurs puissent s’identifier aux personnages :
We wanted the crisis that the heroes were dealing with to be something that every single fan could look at and be like, Oh, I identify with that. That’s a very real crisis. […] We wanted these villains to be born from that crisis, and we wanted our heroes to be approaching them from a point of view that is so human and so anchored in modern struggle today, that this whole piece feels like the superhero franchise of the future. These heroes are of the times, they’re dealing with problems of the times, and their worldviews are of the times9.
Parmi les évolutions intéressantes de la mise en scène du super-vilain, il est aussi important de citer des séries comme WandaVision ou Loki, où les super-vilains occupent désormais le rôle principal dans le récit. La série WandaVision pour sa part s’inscrit dans la suite du film Avengers : Endgame, dans lequel le personnage de Vision meurt. Dévastée par la mort de son compagnon, Wanda Maximoff décide d’utiliser ses pouvoirs pour créer sa propre réalité dans une ambiance sitcom d’apparence parfaite. Sa magie s’étend à l’ensemble de la ville de Westview dont les habitants sont désormais sous son emprise. Quand il arrive que les habitants échappent temporairement à celle-ci, ils expriment leur terreur. Cette situation fait du personnage de Wanda la méchante de son propre univers (à laquelle s’ajoute Agatha Karnes qui occupe un rôle de méchant plus traditionnel). Cependant, ses agissements sont expliqués par l’impossibilité dans laquelle elle est de faire le deuil de son compagnon. Ainsi, dans sa volonté de vie parfaite, elle se crée de faux enfants qui une fois de plus l’enfoncent dans son illusion. Bien que Wanda soit initialement dans le déni quant au caractère « méchant » de ses actions, elle sera amenée à prendre conscience de la peine qu’elle génère autour d’elle et à libérer la version de Vision qu’elle a créée pour le voir mourir à nouveau.
Dans la série Loki, on retrouve un super-vilain bien connu du MCU, mais qui occupe cette fois le rôle principal. Loki se trouve confronté à une organisation de contrôle de l’univers qui l’accuse d’avoir commis un crime envers l’unicité de l’espace-temps. L’organisation demande alors à Loki de l’aider à capturer les autres versions de lui-même qui ont essaimé depuis différentes branches illégales de l’univers : car, si leurs plans n’aboutissent jamais, en revanche ils parviennent toujours à rester en vie. Se pose alors la question de savoir si Loki est intrinsèquement méchant, ou si ce sont les (més)aventures et les choix des différents Loki qui en font des méchants.
Enfin, la série The Boys évoque diverses problématiques liées à l’ère des réseaux sociaux et des « influenceurs » associés, qui sont utilisés par certaines entreprises comme nouvelles sources de profit. Dans cette série qui tourne autour de l’idée d’une commercialisation à outrance de l’image des super-héros, le personnage principal, Hughie Campbell, prend conscience que les super-héros sont intouchables étant donné leur notoriété alors qu’ils n’agissent pas toujours, voire rarement, pour des raisons et par des moyens moraux, contrairement à ce que fait croire le dispositif publicitaire qui les accompagne en permanence. Subvertissant la figure du super-héros, le principal super-vilain, Homelander, est ici un personnage qui se fait passer pour un super-héros. La ressemblance évidente entre ce vilain et le personnage de Superman plonge le spectateur dans une forme de dystopie dans laquelle les valeurs morales ne sont plus les principales motivations de l’action des super-héros.
Conclusion
Le super-vilain, au-delà de son rôle scénaristique déclencheur, permet d’abord de révéler la puissance du super-héros : par ses mauvaises actions, il met en lumière les bonnes actions du héros. Mais l’intérêt porté par les consommateurs aux personnages de super-vilains tire aussi son origine de leur goût paradoxal pour le sentiment de peur – tant du moins qu’il est ressenti dans l’enceinte sécurisée de la fiction. La peur, la curiosité malsaine et la volonté d’identifier le danger attirent, c’est pourquoi le rôle du super-vilain prend une place particulière dans le récit. Mais les super-vilains représentent aussi l’objet de nos peurs et ce qu’elles expriment de notre environnement social et politique. Si les crimes sont définis par le droit et répondent à des critères spécifiques dont la norme s’inscrit dans une temporalité précise, les crimes commis par les super-vilains reflètent alors l’état de notre société et ses limites. Au-delà de la méchanceté des super-vilains se cachent ainsi souvent des problématiques sociales, et les nouvelles générations de super-vilains réactivent de ce point de vue le modèle des super-vilains historiques. S’ils sont finalement vaincus, les scénaristes les remplacent ou les font réapparaître, comme pour les super-héros, ce qui dénote l’importance de leur rôle.
Les évolutions récentes de la représentation des super-vilains témoignent cependant d’une inflexion nouvelle et intéressante. Le mécanisme des vilains qui n’ont pour but que la méchanceté laisse place à d’autres ressources scénaristiques, comme dans la scène où le titan Thanos parvient à ses fins dans le film Avengers : Infinity War et laisse les spectateurs ébahis face au triomphe du méchant. De façon générale, on note un intérêt grandissant pour les super-vilains qui se traduit par un temps plus long qui leur est accordé à l’écran. Avant l’ère du format numérique, on s’attardait moins sur le méchant, le héros occupait la majeure partie à l’écran. Le méchant était mentionné, mais peu montré, il occupait un rôle accessoire par rapport au héros. Dans les séries contemporaines comme Gotham, Loki ou WandaVision, les méchants occupent désormais le premier rôle, le format sériel permettant de passer plus de temps sur la psychologie des personnages et de les rendre plus intéressants. Les super-vilains se voient alors dotés de traits de personnalité plus humains qu’autrefois. Leurs objectifs ne sont plus limités à leur rôle d’antagoniste du héros, ils possèdent des revendications et des idéaux. Comme on le constate pour les vilains Thanos, Wanda et Loki, les méchants se sont complexifiés. Ce faisant, le traitement manichéen du bien et du mal se nuance. On voit par exemple dans la série Loki un vilain qui devient un gentil, et dans The Boys des supposés super-héros se livrant à de mauvaises actions.
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Notes
1. V. Nahoum-Grappe, « Le rire du méchant », Esprit 2013/10, p. 2.
2. R. Barthes, Mythologies [1957], Paris, Le Seuil, 2014, p. 21-22.
3. V. Nahoum-Grappe, « Le rire du méchant », Esprit 2013/10, p. 7.
4. The Falcon and the Winter Soldier, Saison 1, épisode 2 de 00 : 09 : 32 à 00 : 09 : 46.
5. N. Prince, « Peut-on aimer la peur ? », dans J. Birnbaum (dir.), De quoi avons-nous peur ?, Paris, Gallimard, 2018, p. 13.
6. U. Beck, La société du risque [1986], trad. fr. L. Bernardi, Paris, Aubier, 2001.
7. R. Baroni, Fr. Jost, « Repenser le récit avec les séries télévisées », Télévision vol. 7, n°1, 2016, p. 1.
8. E. H. Sutherland, Principes de criminologie [1939], Paris, Cujas, 1966.
9. K. Hatchett, « Falcon and the Winter Soldier Boss Breaks Down That Captain America Twist and Avenger’s Cameo » [archive], sur TVLine, 2021.
Citation
Lolita Broissiat, « Des inspirations historiques et présentes des « super-vilains » », dans Sylvie Allouche & Théo Touret-Dengreville (éd.), Sécurité et politique dans les séries de superhéros Archive ouverte J. Vrin, visité le 21 décembre 2024, https://archive-ouverte.vrin.fr/item/broissiat_des_inspirations_historiques_et_presentes_des_super-vilains_2023
Auteure
Lolita Broissiat est chercheuse en sociologie au sein du LEIRIS, Université Paul Valéry Montpellier 3.
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