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  • Tags: morale
Depuis la création du personnage de Superman en 1938, les figures de superhéros, et plus largement les personnages dotés de superpouvoirs, se sont multipliés, dans les comics d’abord, puis au cinéma et dans les séries, les films du Marvel Cinematic Universe occupant régulièrement les premières places du box-office mondial. L’image que l’on peut avoir spontanément du superhéros est celui d’un personnage au costume flashy qui lutte grâce à d’innombrables exploits acrobatiques contre des supervilains et leurs plans compliqués de domination ou de destruction globales dans un univers moral manichéen. Mais, comme en témoignent deux phrases célèbres tirées des histoires de superhéros, « With great power comes great responsibility » et « Who watches the Watchmen ? », le fait qu’un ou plusieurs individus possèdent des superpouvoirs soulève nécessairement des questions politiques, comme je m’emploie à le mettre en évidence à partir de divers exemples. Mais, plus fondamentalement, il me semble que les histoires de superhéros permettent d’interroger un présupposé omniprésent des théories politiques traditionnelles concernant les capacités que doivent présenter les individus pour pouvoir entrer dans une relation politique. C’est ce que je me propose de montrer à partir d’une comparaison avec la question d’une éventuelle relation politique à construire avec les animaux, telle que défendue par Sue Donaldson et Will Kymlicka dans leur livre de 2011 intitulé Zoopolis.

Les expériences de pensée sont à la fois un instrument de la pratique philosophique et un stimulant pour l’imagination. La question ici posée est celle de la détermination de la valeur de ces expériences de pensée quand elles sont employées dans des œuvres de fiction. On répond que la mise en fiction d’une expérience de pensée, si elle reste associée à une visée argumentative, rend le public moins apte à penser correctement et peut conduire à la remise en question de ses valeurs les plus fondamentales, mais pour de mauvaises raisons. La puissance qu’a la fiction de mettre en scène ces scénarios imaginaires la munit donc du pouvoir de détériorer son public. Afin de justifier cette thèse, l’article s’appuie sur une analyse de la manière dont la série 24 heures chrono met en scène l’expérience de pensée de la bombe à retardement.

Contrairement à ce qu’affirment certains détracteurs de 24 heures chrono qui soutiennent que la série exprime une vision simpliste du monde et une apologie à peine voilée de la torture, je défends l’idée qu’elle revêt en réalité une dimension hyper-morale en ce qu’elle propose une véritable éducation morale ouverte du public, et non moralisante – car basée sur la variation des points de vue et une réflexion pluraliste qui n’est jamais ni prédéfinie ni définitive. M’appuyant sur la théorie du développement moral de Lawrence Kohlberg, je montre en particulier comment le personnage principal Jack Bauer dépasse les deux grandes conceptions morales que sont l’utilitarisme et le déontologisme pour se révéler un authentique anti-héros, celui qu’on ne voudrait pas être et dont il ne faudrait pas avoir besoin. Mais Jack nous rappelle aussi ce qu’est l’exigence morale absolue, sa valeur tout autant que son prix et ses limites, illustrant ainsi l’exigence amorale de l’éthique kohlbergienne, marquée par l’excès, voire l’abus d’une exigence morale désespérée. Jack est-il alors une incarnation possible du stade cosmologique que Kohlberg avait fini par abandonner ? La série souligne en tous cas à quel point les héros sont fatigués et témoigne de la nécessité d’un changement politique qui permettrait à notre monde de ne plus avoir besoin de tels héros. Car si Jack Bauer en est un malgré tout, il l’est à la façon de Sisyphe – un héros de l’absurde.