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Sous la contrainte librement interprétée du « temps réel », 24 heures chrono offre l’illustration frénétique d’un nouveau régime d’exercice du pouvoir et de circulation des images. La catastrophe a déjà eu lieu, il s’agit seulement d’en « contrôler » les contrecoups les plus désastreux, et toujours de proche en proche, selon un principe d’action locale. Nous décrivons ici la condition spatiotemporelle qui en résulte en faisant jouer l’une contre l’autre la dimension de l’instantané (temps du « direct » médiatisé par les protocoles de connexion à distance, avec leurs multiples interfaces) et celle du simultané (contemporanéité disjonctive des lignes d’action et des flux de durée distribués à l’échelle de la ville ou du territoire national). Ces dimensions s’expriment à la fois sur le plan diégétique, pour les personnages du drame, et sur le plan extra-diégétique du dispositif de visionnage, pour un spectateur censé suivre l’action en « temps réel », mais susceptible de s’y rapporter de loin en loin, et même de revoir certains épisodes à des années de distance. Tandis que la durée laminée et compressée du « just in time » ne cesse d’interrompre la durée longue et diffuse des affects, l’image acquiert une qualité kaléidoscopique qui finit par contredire le fantasme synoptique entretenu par le thème de la surveillance ubiquitaire et l’usage intensif des technologies de communication.

Le « coda » ajouté à ce texte ébauche une réflexion de nature plus fondamentale suscitée par la tentative de revoir 24 heures chrono. Nous y défendons l’idée que la forme sérielle est d’essence spatiale, précisément parce qu’elle implique la mise en variation du film-souvenir au gré des re-visionnages.

À partir d’un corpus de 755 commentaires rédigés sur le site AlloCiné et des notes attribuées par des internautes, cet article se propose d’analyser la réception de la série 24 heures chrono auprès d’une population de critiques « amateurs » francophones. Nous montrons dans un premier temps que la série américaine est très favorablement notée par ce groupe d’internautes. Pour autant, certaines limites du système de notation du site internet soulèvent des problèmes d’interprétation et d’utilisation. L’analyse lexico-sémantique du corpus des avis rédigés par les critiques amateurs montre que la rédaction d’un commentaire est un exercice dans lequel celui-ci engage un point de vue personnel argumenté, et que son point de vue sur la série s’appuie sur une description de pratiques réceptives centrées sur la mise en valeur de qualités intrinsèques (suspense, rebondissement…). Ce résultat rejoint les constats de la sémiologue Laurence Allard selon laquelle les critiques amateurs réguliers se caractérisent d’abord par un « rapport émotionnel ou intellectuel », puis par le développement d’un discours « autour des qualités intrinsèques ». La division du groupe de critiques « amateurs » en sous-groupes – de taille inégale – (« critiques visiteurs », « membres du Club 300 », « communauté AlloCiné ») nous montre une différence importante : l’avis des critiques « experts » (i.e. les membres du Club 300) semble ne pas s’appuyer sur l’usage du pronom personnel de la première personne pouvant laisser penser à l’existence d’une hiérarchie du décentrement parmi les critiques « amateurs ». Ceux qui ont une activité régulière validée par le site ont une réflexion distanciée sur une série sécuritaire – pourtant – jugée favorablement. Ce résultat va dans le même sens que certains travaux antérieurs sur les critiques amateurs d’AlloCiné.

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En nous inspirant du travail de l’anthropologue Marika Moisseeff sur le rôle des séries télévisées dans la société, nous proposons ici une lecture de 24 heures chrono dans la perspective du philosophe Roberto Esposito. En effet, l’intrigue de cette série, qui est un classique des séries sécuritaires, place la source des angoisses et des vulnérabilités au sein même de la communauté qu’il s’agit de protéger. Or Esposito, en refondant une analyse de la communauté à partir de son élément constituant, le munus, à la fois obligation à l’égard des autres et liant même de l’espace communautaire, et de l’immunitas, dans sa double acception d’immunisation au sens biologique et d’immunité au sens d’exonération des obligations, ouvre une voie pour explorer à nouveaux frais l’apparente contradiction de ces séries, qui montrent la lutte contre la menace venant de l’extérieur comme minée par d’autres menaces, tout aussi dangereuses, venant de l’intérieur et qui, sous leur apparence rassurante, recèlent les angoisses les plus profondes.

Le propre des super-héros est de vivre des aventures extraordinaires et des événements hors du commun : doués de super-pouvoirs, ils affrontent des super-vilains dans des combats épiques et des affrontements titanesques où la terre tremble, où l’on s’envoie des voitures à la figure comme des balles de tennis et où se succèdent explosions, immeubles réduits en poussière et épisodes de tension dramatique entre la vie et la mort. Les super-héros, par définition coupés du monde social ordinaire, ont des enjeux à leur mesure, enjeux qui ont plus à voir avec la fin du monde qu’avec la fin du mois. On imagine mal, en effet, Batman éplucher ses fiches de paye, Thor faire la queue à Pôle Emploi, Iron Man remplir sa déclaration d’impôts ou Captain America aller renégocier son taux de crédit avec son banquier ! Les super-héros semblent être à la fois au-dessus et au-delà, dans un « univers étendu » où les restrictions des contigences matérielles (au double sens du terme : physiques et financières) n’opèrent pas, pas pour eux en tout cas. Dans cette perspective, la trilogie Spider-Man (2002, 2004 et 2007) du réalisateur Sam Raimi (né en 1959), considérée unanimement comme la meilleure adaptation au cinéma du comics créé par Stan Lee et Steve Ditko en 1962, détone beaucoup par rapport à ce cadre. Certes, tous les ingrédients d’une histoire de super-héros sont bien là (suspense, romance, scènes d’action spectaculaires, enjeux dramatiques forts) mais la dimension sociologique et économique (et donc, par là même politique) n’est jamais passée sous silence, au point qu’on pourrait même y voir une trilogie sur la lutte des classes.

L’expérience du spectateur de 24 heures chrono se caractérise souvent par une forte immersion. Cette immersion s’explique notamment par la capacité des épisodes à provoquer l’émotion du suspense. Le suspense présuppose généralement un fort attachement au personnage principal. À suivre une théorie influente, ce phénomène d’attachement s’expliquerait par le fait que le spectateur attribue au personnage des vertus morales. Mais l’usage de la torture par Jack Bauer n’est pas sans poser des problèmes éthiques qui ont souvent été soulevés. Plutôt que d’aborder directement la question de savoir si l’on doit condamner moralement la série 24 heures chrono, et après avoir rappelé les théories philosophiques du suspense et de l’attachement qui sont pertinentes pour rendre compte du pouvoir que la série a pu avoir sur ses spectateurs, le texte envisage une autre conception de l’attachement, plus sensible à ce que la série pourrait nous révéler des dimensions sceptiques et tragiques, mais aussi poétiques, de la vie moderne.

L’originalité fondatrice de la minisérie WandaVision (Disney+, 2021) est d’adopter les codes de la sitcom traditionnelle en partant de la période classique des années 1950 pour aboutir au mockumentaire, sous-genre emblématique du nouveau millénaire. Cela produit un décalage comique avec les super-pouvoirs des protagonistes de comics Marvel. Il se révèle cependant progressivement que ce quotidien de sitcom n’est en fait qu’une fiction à l’intérieur de la fiction, protégée par un champ de force électromagnétique : le « Hex ». C’est un safe space dans lequel se tiennent reclus Wanda et (à son insu) Vision. Dès lors, il est permis de s’interroger sur le rôle dévolu à la sitcom dans un tel dispositif : s’agit-il de rendre hommage au genre, ou de le réduire à une échappatoire régressive et infantilisante contre la tyrannie du monde moderne ? En d’autres termes, l’objectif déclaré est-il de célébrer ou de supplanter ce genre séminal de la télévision américaine ? Le présent article se propose de répondre à ces questions en explorant la piste d’une annihilation de la fantaisie domestique des sitcoms par l’imaginaire Marvel, fondé sur la machinerie militariste et les combats manichéens. Se pose en effet la question d’un détournement opératoire et idéologique du genre sitcom pour lui imposer un discours belliciste inhérent au « Marvel Cinematic Universe ».