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Depuis la création du personnage de Superman en 1938, les figures de superhéros, et plus largement les personnages dotés de superpouvoirs, se sont multipliés, dans les comics d’abord, puis au cinéma et dans les séries, les films du Marvel Cinematic Universe occupant régulièrement les premières places du box-office mondial. L’image que l’on peut avoir spontanément du superhéros est celui d’un personnage au costume flashy qui lutte grâce à d’innombrables exploits acrobatiques contre des supervilains et leurs plans compliqués de domination ou de destruction globales dans un univers moral manichéen. Mais, comme en témoignent deux phrases célèbres tirées des histoires de superhéros, « With great power comes great responsibility » et « Who watches the Watchmen ? », le fait qu’un ou plusieurs individus possèdent des superpouvoirs soulève nécessairement des questions politiques, comme je m’emploie à le mettre en évidence à partir de divers exemples. Mais, plus fondamentalement, il me semble que les histoires de superhéros permettent d’interroger un présupposé omniprésent des théories politiques traditionnelles concernant les capacités que doivent présenter les individus pour pouvoir entrer dans une relation politique. C’est ce que je me propose de montrer à partir d’une comparaison avec la question d’une éventuelle relation politique à construire avec les animaux, telle que défendue par Sue Donaldson et Will Kymlicka dans leur livre de 2011 intitulé Zoopolis.
Les super-héros entretiennent avec le droit une relation faite de paradoxes. Par leur nature même, ils sont des figures qui enfreignent la loi, que ce soit en dissimulant leur identité ou en utilisant leurs pouvoirs, assimilables à des armes interdites sans autorisation spéciale. En dépit de ces violations, le droit et les conséquences légales des actes des super-héros sont rarement abordés dans les récits. Le monde politique, qui devrait réagir à l’existence de tels individus, ne le fait qu’occasionnellement, comme on le voit dans certains arcs narratifs de Marvel où les super-héros sont persécutés, mais ces situations sont rarement explorées d’un point de vue juridique. Les super-héros qui sont aussi des avocats, comme Daredevil et She-Hulk, représentent un paradoxe encore plus évident : ils sont supposés défendre la loi dans leur profession mais adoptent des comportements qui sont à l’opposé de ce principe quand ils endossent leur costume. Les récits de super-héros mettent donc en avant une vision transgressive de la société, où ces personnages illustrent les failles d’un système qui ne parvient pas à les intégrer ou à les réguler. Si les super-héros étaient pleinement intégrés dans un cadre juridique, ils perdraient leur statut particulier et la société ne serait plus présentée comme défaillante. Ainsi, la figure du super-héros demeure une expression de la contestation de l’ordre établi et de la fascination pour ceux qui s’affranchissent des règles.

Dans 24 heures chrono, l’État est confronté à une situation de crise qui l’amène à prendre des mesures qui suspendent le droit ordinaire. Les événements présentés dans la série télévisée relèvent d’un état d’exception. L’enjeu de cette contribution est d’analyser ce qu’une fiction télévisée peut apporter à la manière de penser l’état d’exception, son rapport à l’ordre juridique et ses enjeux politiques. Cette réflexion s’inscrit dans une recherche plus générale visant l’usage des fictions (films, séries) par la philosophie du droit.

Dans l’univers des comics et séries, le super-vilain, antagoniste du super-héros, est central. Représentant l’archétype du mal, il valorise les qualités héroïques et soulève des questions morales liées aux problématiques sociales. Ces personnages évoluent avec la société, témoignant de ses changements culturels et historiques, en particulier dans le contexte américain. Cette évolution, des premiers comics à aujourd’hui, montre une complexité et profondeur accrues. Les super-vilains, autrefois de simples figures maléfiques, incarnent désormais des nuances psychologiques et morales, reflétant des enjeux contemporains tels que la corruption, le terrorisme et les crises identitaires. De simples obstacles pour les héros, ils sont devenus des personnages qui servent de miroir à la société et expriment des craintes et préoccupations collectives. Ils sont désormais des figures complexes, stimulant la réflexion sur la morale, l’éthique et les dilemmes modernes. Leur étude révèle ainsi l’évolution de la culture populaire et des perceptions sociétales.
L’originalité fondatrice de la minisérie WandaVision (Disney+, 2021) est d’adopter les codes de la sitcom traditionnelle en partant de la période classique des années 1950 pour aboutir au mockumentaire, sous-genre emblématique du nouveau millénaire. Cela produit un décalage comique avec les super-pouvoirs des protagonistes de comics Marvel. Il se révèle cependant progressivement que ce quotidien de sitcom n’est en fait qu’une fiction à l’intérieur de la fiction, protégée par un champ de force électromagnétique : le « Hex ». C’est un safe space dans lequel se tiennent reclus Wanda et (à son insu) Vision. Dès lors, il est permis de s’interroger sur le rôle dévolu à la sitcom dans un tel dispositif : s’agit-il de rendre hommage au genre, ou de le réduire à une échappatoire régressive et infantilisante contre la tyrannie du monde moderne ? En d’autres termes, l’objectif déclaré est-il de célébrer ou de supplanter ce genre séminal de la télévision américaine ? Le présent article se propose de répondre à ces questions en explorant la piste d’une annihilation de la fantaisie domestique des sitcoms par l’imaginaire Marvel, fondé sur la machinerie militariste et les combats manichéens. Se pose en effet la question d’un détournement opératoire et idéologique du genre sitcom pour lui imposer un discours belliciste inhérent au « Marvel Cinematic Universe ».

L’expérience du spectateur de 24 heures chrono se caractérise souvent par une forte immersion. Cette immersion s’explique notamment par la capacité des épisodes à provoquer l’émotion du suspense. Le suspense présuppose généralement un fort attachement au personnage principal. À suivre une théorie influente, ce phénomène d’attachement s’expliquerait par le fait que le spectateur attribue au personnage des vertus morales. Mais l’usage de la torture par Jack Bauer n’est pas sans poser des problèmes éthiques qui ont souvent été soulevés. Plutôt que d’aborder directement la question de savoir si l’on doit condamner moralement la série 24 heures chrono, et après avoir rappelé les théories philosophiques du suspense et de l’attachement qui sont pertinentes pour rendre compte du pouvoir que la série a pu avoir sur ses spectateurs, le texte envisage une autre conception de l’attachement, plus sensible à ce que la série pourrait nous révéler des dimensions sceptiques et tragiques, mais aussi poétiques, de la vie moderne.