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Dans l’univers des comics et séries, le super-vilain, antagoniste du super-héros, est central. Représentant l’archétype du mal, il valorise les qualités héroïques et soulève des questions morales liées aux problématiques sociales. Ces personnages évoluent avec la société, témoignant de ses changements culturels et historiques, en particulier dans le contexte américain. Cette évolution, des premiers comics à aujourd’hui, montre une complexité et profondeur accrues. Les super-vilains, autrefois de simples figures maléfiques, incarnent désormais des nuances psychologiques et morales, reflétant des enjeux contemporains tels que la corruption, le terrorisme et les crises identitaires. De simples obstacles pour les héros, ils sont devenus des personnages qui servent de miroir à la société et expriment des craintes et préoccupations collectives. Ils sont désormais des figures complexes, stimulant la réflexion sur la morale, l’éthique et les dilemmes modernes. Leur étude révèle ainsi l’évolution de la culture populaire et des perceptions sociétales.

In this article I will argue that 24 can be seen as a variation of the tendency towards “narrative complexity” in current US TV series. Its straight-jacketed adherence to chronological time may not allow for fundamental disturbances of the discourse characteristic of many of its cinematic and televised contemporaries, but 24 distinguishes itself by shifting complexity from conceptual and narratological levels to the realm of morality. By analyzing two episodes from different seasons, both closely related to actual political developments in the US War on Terror at the time, I will outline how the show hovers between (and plays with our expectations of) deontological and consequentialist (utilitarian) forms of moral reasoning.

En nous inspirant du travail de l’anthropologue Marika Moisseeff sur le rôle des séries télévisées dans la société, nous proposons ici une lecture de 24 heures chrono dans la perspective du philosophe Roberto Esposito. En effet, l’intrigue de cette série, qui est un classique des séries sécuritaires, place la source des angoisses et des vulnérabilités au sein même de la communauté qu’il s’agit de protéger. Or Esposito, en refondant une analyse de la communauté à partir de son élément constituant, le munus, à la fois obligation à l’égard des autres et liant même de l’espace communautaire, et de l’immunitas, dans sa double acception d’immunisation au sens biologique et d’immunité au sens d’exonération des obligations, ouvre une voie pour explorer à nouveaux frais l’apparente contradiction de ces séries, qui montrent la lutte contre la menace venant de l’extérieur comme minée par d’autres menaces, tout aussi dangereuses, venant de l’intérieur et qui, sous leur apparence rassurante, recèlent les angoisses les plus profondes.

Contrairement à ce qu’affirment certains détracteurs de 24 heures chrono qui soutiennent que la série exprime une vision simpliste du monde et une apologie à peine voilée de la torture, je défends l’idée qu’elle revêt en réalité une dimension hyper-morale en ce qu’elle propose une véritable éducation morale ouverte du public, et non moralisante – car basée sur la variation des points de vue et une réflexion pluraliste qui n’est jamais ni prédéfinie ni définitive. M’appuyant sur la théorie du développement moral de Lawrence Kohlberg, je montre en particulier comment le personnage principal Jack Bauer dépasse les deux grandes conceptions morales que sont l’utilitarisme et le déontologisme pour se révéler un authentique anti-héros, celui qu’on ne voudrait pas être et dont il ne faudrait pas avoir besoin. Mais Jack nous rappelle aussi ce qu’est l’exigence morale absolue, sa valeur tout autant que son prix et ses limites, illustrant ainsi l’exigence amorale de l’éthique kohlbergienne, marquée par l’excès, voire l’abus d’une exigence morale désespérée. Jack est-il alors une incarnation possible du stade cosmologique que Kohlberg avait fini par abandonner ? La série souligne en tous cas à quel point les héros sont fatigués et témoigne de la nécessité d’un changement politique qui permettrait à notre monde de ne plus avoir besoin de tels héros. Car si Jack Bauer en est un malgré tout, il l’est à la façon de Sisyphe – un héros de l’absurde.

Au lendemain du 11 septembre 2001 surgissait sur nos écrans la série 24 heures chrono (2001-2014, Joel Surnow et Robert Cochran, Fox), qui mettait en scène l’agent spécial Jack Bauer (Kiefer Sutherland) en lutte contre le terrorisme. Série emblématique des années 2000, elle est la première expression d’un phénomène qui continue de se développer, à savoir le déploiement de la fiction comme outil d’analyse de la violence terroriste et comme véhicule de significations et de valeurs. Point d’origine post-traumatique du genre sécuritaire, 24 heures chrono, est toutefois plus abstraite, plus morale que sa descendance : plus philosophique peut-être.

Dans 24 heures chrono, l’État est confronté à une situation de crise qui l’amène à prendre des mesures qui suspendent le droit ordinaire. Les événements présentés dans la série télévisée relèvent d’un état d’exception. L’enjeu de cette contribution est d’analyser ce qu’une fiction télévisée peut apporter à la manière de penser l’état d’exception, son rapport à l’ordre juridique et ses enjeux politiques. Cette réflexion s’inscrit dans une recherche plus générale visant l’usage des fictions (films, séries) par la philosophie du droit.